Je vais pleurer.

Je vais pleurer longtemps sans pouvoir arrêter.

Le dix ans est dépassé depuis quelques jours seulement et déjà, je suis dans le scénario que je croyais être de la bouillie pour les chats. Je veux dire le Doc m’avait dit tellement de choses un peu incongrues sur mes genoux, sur ma capacité à courir, sur la durée de vie «normale» des genoux des humains, qui semble-t-il, n’auraient pas suivi l’évolution et eux, seraient «scrapts» avant notre coeur, nos poumons et tout le reste, que le « dix ans que va durer le résultat de votre opération », bien je l’avais mis dans mon coin de cerveau qui s’appelle «whatever»!

Il m’avait aussi dit, «Madame, vous ne courrez plus jamais». J’étais une jeune dame de quarante ans et on me poussait déjà à la chaise berçante aussi bien dire à la chaise électrique! Quand tu es un coureur, que tes amis sont des coureurs, que tes partys sont à 7h le matin dans le froid matinal avec des amis en shorts et du Gatorade, bien faut comprendre que tu es un peu fêlée et que pour toi, c’est ça «fêter»! C’est ce dossard épinglé sur ta nouvelle camisole super hot que tu as acheté juste pour cet évènement, avec ces nouveaux runnings qui vont t’amener 21,1 km plus loin dans l’inconfort le plus confortablement possible.

Tous ces détails qui deviennent un seul lot. Un bonheur précieux. Un bonheur vers l’avant.

Retour en arrière :

31 mars 2006 : opération au genou droit pour remplacer le ligament croisé antérieur complètement déchiré et pour deux méniscectomies. Tout ça à cause d’une très mauvaise chute en ski alpin. Déjà maganés, arthrose niveau 3, par des années de ski dans les champs de bosses de Jay Peak, de Killington, de Sainte-Anne puis par plusieurs années de course sur les talons. Mon coach du temps disait: «allonge tes foulées Josée!!!» Je n’y manquais jamais! 

Neuf ans et dix mois passent… Nous voilà en janvier 2016 : je commence à avoir mal à mon genou droit à toutes sortes de moments. Au début, je crois que c’est dû à la course, mais je réalise rapidement que la douleur n’a pas de logique. Elle apparaît quand bon lui semble. Pas réellement quand je cours, mais assise, couchée, au volant, en descendant les marches à 14h. Puis, étrangement, à 14h30, en les redescendant, ça vole comme si tout était OK, comme s’il était neuf. Le lendemain, ça fait mal deux sur dix au début de la course.  Je me dis, ah je devrais virer de bord. Puis tout à coup, après à peine 500 mètres, ça disparaît.

La semaine suivante, à 6h avec mon ami Pierre, je dois rebrousser chemin après 50 mètres. Trop de douleur pour continuer. 🙁

Parfois, en l’espace de 15 minutes, il va bien, il va mal. Mon moral avec!

Donc, après dix ans j’ai un genou à refaire ou j’ai un genou bipolaire? Je veux dire, Doc? Comment je fais pour «dealer» avec un genou bipolaire?

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La veille de Boston 2016, à l’expo du marathon, je boitais tellement que j’ai pris les escaliers roulants pour aller chercher mon dossard. Mon amie Micheline et moi étions totalement perdues pour trouver la place où prendre nos dossards. Ce qui fait qu’on a dû passer une demi-heure à aller d’un escalier roulant à l’autre. Je voulais pleurer. Juste m’imaginer descendre les marches… AAHHHHHHHH!

Puis, le matin de la course. Tout est OK. Je veux dire un peu raide, mais grosso modo ça va. Je cours Boston en entier. Un succès pour moi, une belle gestion de course. Le premier demi en 1:53:26, le deuxième demi en 2:02:34. Malgré la chaleur, le vent et la fatigue, je prends neuf minutes de plus pour faire le deuxième demi. Pour moi, c’est une grande réussite. Apprendre à bien gérer son énergie dans un marathon si casse-cou, c’est quelque chose auquel je travaille depuis longtemps. Au final 3:53:00. 325e sur 1254 dans ma catégorie. En plus j’ai eu du fun, quoique j’ai travaillé fort! 

Ce qui est encore plus le fun c’est qu’il me reste place à amélioration. Depuis mon retour, dans mon petit cerveau en constante ébullition, je fais des scénarios à comment je pourrai le faire mieux l’an prochain. Comment j’adapterai encore mieux mon entraînement pour cette bête. Ahhhh, j’ai déjà hâte!

Malade la madame, vous vous dites? Oui, totalement!

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«Ton genou?», me demandent mes amis après la course. «Quel genou!» que j’ai envie de leur répondre tellement il a collaboré et a juste fait la job comme son frère à gauche.

Eh Doc? Ça fait tout juste dix ans et un mois que vous m’avez ouvert pour mettre vis et autres pièces de métal. Dix ans que vous avez utilisé un morceau de mon muscle semi-tendineux pour reconstruire le ligament croisé antérieur en tant que tel! Vous m’avez dit que ça durerait dix ans cette opération. Pourquoi sur cela, avez-vous été si exact et avez-vous eu autant raison? Je veux dire, quand vous m’avez dit «Madame, vous ne courrez plus jamais». Vous étiez dans le champ complètement, car depuis j’ai couru 26 marathons. Et imaginez les km que j’ai couru pour l’entraînement. Autour de 10 000, je dirais. Mal au genou, jamais. Fasciite et tendinite du tendon d’Achille, voilà ce que j’ai eu en cinq ans, et cela, seulement deux fois.

Parce que, quand même, je vous ai écouté pendant presque cinq ans. J’ai tout cessé de 2006 à la fin de 2010. Puis un soir doux d’automne, vous savez, une soirée où ça sent bon, je me suis de nouveau lancée. J’ai recommencé en trottinant. Un gros huit minutes ce soir-là. Puis, les cinq années suivantes j’ai couru partout! J’ai été sur le party solide! Mon genou, c’était comme mon coude, il ne disait jamais rien!

Crédits photos: Bill Greene/Globe Staff

Donc, je ne vous croyais plus doc. Plus du tout. Je croyais que tout ça, c’était juste pour me faire peur. Et là, en ce matin du 28 avril, à la lumière rouge, mon genou m’élance un peu. Comme ça juste pour faire ch… Une heure avant dans les marches de la maison il était parfait.

Je me sens comme un cycliste qui regarde la météo: 40% de probabilité d’averse. Debout à côté de la bécane dans le garage. Je les gonfle ou pas ces pneus, je les enfile ou pas ces gants?

Fuck les probabilités! Moi je pars pour Bear Mountain avec mes amies faire mon ultra-marathon de 50 km. On est trois filles sur le party dans la voiture qui s’en va demain matin vers les belles montagnes. Nous allons trottiner dans les bois en jasant de tout et de rien. De temps en temps on va nous donner des patates bouillies avec du sel, des chips, du Coke et on va trouver que c’est le plus grand des festins. Puis, complètement gaga après avoir goulûment avalé ces produits «santé», on disparaîtra de nouveau dans les bois en papotant de plus belle.

Je veux en profiter. Je sais qu’il s’en va le chien. Il s’égraine tranquillement. Je sais qu’il me laisse tomber. Une obsolescence réellement bien programmée. Jamais je n’y aurais cru.

Dix ans. Euh, ça ne vous tentait pas d’en faire un modèle super résistant? Une longue durée? Ils font bien des batteries de longue durée non? Pourquoi pas une opération d’une petite madame hyperactive?

Mais là, pour le moment, tout est tout croche! Je n’ai jamais vécu avec quelqu’un d’instable émotionnellement. Bien là, j’ai mon genou, vois-tu. Faut faire avec. On va au spectacle en espérant que tout ira bien. Puis, si ça dérape, on sort avant la fin de la séance. C’est tout. Mais je ne peux pas, pas y aller, ce serait capituler. Ce serait accepter. Je ne suis pas rendue là.

Voilà dix ans, une amie psychologue m’avait dit qu’une des choses les plus dures quand on prend de l’âge, c’est de faire des deuils.

AAAAAHHHHHHHHHHHHHHH !

(C’est un cri de mort ça au cas où vous auriez besoin d’une traduction.)

J’y arriverai jamais pour la course. Je n’ai pas cette sagesse, ni cette maturité. Et puis, je me contrefous de la sagesse et de la maturité. Je veux courir partout comme un enfant qui vient d’apprendre à courir et qui réalise que c’est l’ultime liberté!

Je capote. Ne me demandez pas comment je vais ces temps-ci parce que je risque de m’asseoir à terre et de pleurer. Avec des gros sanglots qui coupent le souffle. Des sanglots sans fin.

Eh doc, ma vie c’est la course. On fait quoi?