Les «inspirantes»
Vous me connaissez un peu. Je vous connais bien. Ça fait un moment que j’ai l’oeil sur vous les filles. J’ai été longtemps à vous regarder et à rêver. J’avais le coeur léger en vous regardant courir. Votre port de tête, les poussières d’étoiles dans vos jambes et dans votre coeur, tout ça me fascinait. Je me disais, voilà des gazelles! Elles volent, elles flottent, comme c’est beau et inspirant! Un jour, je m’y mettrai moi aussi avec toute ma force. Un jour, je foncerai plus loin, mais pas maintenant. Par contre, un jour j’irai sur la fine ligne du grand dépassement de soi. Je me fais la promesse. Moi aussi je tenterai de mettre des poussières d’étoiles dans chacune de mes foulées.
À l’expo du Marathon de Disney en janvier 2015, j’avais acheté ce «pace band», ce bracelet d’allure, le 3:40. À la maison, quelques mois plus tard je l’avais enfilé et pris en photo. Comme pour officialiser l’objectif. C’était mon rêve. Casser le 3:40 au marathon. Je savais que j’étais pour y arriver. Combien de temps ça me prendrait? Bof, pas si important. L’important était de bien le faire, d’y arriver avec plaisir. Depuis déjà un moment, vous les filles, je vous regardais. J’avais une liste de rêves. Tous construits en vous admirant. Ça a commencé à l’hiver 2002 sur la piste de 200 mètres au Centre Claude-Robillard. J’étais alors une coureuse débutante toute fraiche et fragile. Déjà à l’échauffement j’étais essoufflée. Vous les filles, Carole et Sylvie surtout, avec vos amies du club, passiez à côté de moi tout en papotant ensemble de tout et de rien. Vous aviez l’air de filles en train de jaser autour de la machine à café. Ça riait et ça s’esclaffait à qui mieux mieux.
Je vous regardais et je me disais WOW! J’étais si impressionnée. J’adorais vous regarder. Pourquoi j’aimais tant ça quand j’aurais pu vous jalouser et me décourager? Parce que je voyais qui je pouvais devenir. Moi, le petit canard boiteux de la course, celle qui n’avançait pas, qui après dix minutes de course était déjà épuisée, je voyais les maîtres passer devant moi et j’admirais. Je prenais des notes, j’observais, je me questionnais. Comment se fait-il qu’elles soient si rapides, si endurantes, si fortes? Et qu’est-ce que je pourrais faire moi pour devenir comme elles, un peu comme elle, peut-être même un peu plus un jour? J’ai couru avec vous pendant trois ans. De 2002 à 2005. Trois magnifiques années à travailler fort. À devenir meilleure, à donner le meilleur de moi.
Je me souviens d’un scénario intérieur que j’avais mis au point lors des intervalles sur la piste quand vous me dépassiez avec grâce et force. Je me disais, OK, Josée, tu prends un peu de leur énergie, de leur force. Voilà juste un peu. Voilà, comme ça. Tu vois, tu vois, ça marche. Ça marche! Tu vois, Josée, tu vas déjà mieux. Allez continue, n’arrête pas. Allez!
Trois belles années que ce fut.
Puis, j’ai dû arrêter de courir en 2005 à cause d’une blessure majeure en ski alpin. J’étais incapable de reprendre la course. En 2011, enfin, j’ai réussi un retour très progressif. Et là, à partir de 2012, dans les murs de Maison de la Course, j’ai rencontré d’autres femmes inspirantes. Lise, Marie-Ève, Marie-Caroline, Alice et bien d’autres. Je les regardais elles aussi. Je me disais, on dirait qu’elles dansent non? Ou elles volent? C’est quoi le truc? La magie qui opère? J’ai continué à apprendre. J’ai continué à travailler fort. Me décourager? Voyons, pourquoi? Chaque moment est parfait. Chaque moment de course est du mouvement. Le mouvement c’est la vie. Le mouvement c’est aller vers l’avant.
Cette année, en 2018, j’ai décidé de me lancer plus fort. En 2018, je trouve le moyen de mettre dans mon horaire du travail de vitesse. Les mardis et jeudis matins je me lève à 4h30. Je quitte la maison à 5h10 pour aller rejoindre Frédérick à la boutique de Griffintown. De là, à la course, nous allons à la piste de Mc Gill. Puis retour à la boutique. Un superbe entraînement, exigeant, mais payant. Je veux devenir meilleure que moi. J’en prends les moyens. Ma mère avait un pendentif que son grand amoureux, Réal, lui avait donné et qui disait «Plus qu’hier, moins que demain». C’était un pendentif à la mode dans les années 70. Vos mères en ont peut-être eu elles aussi. J’adorais son bijou. Parfois, je le lui subtilisais pour le porter. Elle s’en apercevait toujours très rapidement. Comme si elle avait été incomplète sans ce contact sur sa peau. Cette phrase et toute sa signification me sont restées pour la vie. Toujours et en tout, je serai dans ce «mood». Plus qu’hier, moins que demain.
À la course, je voulais, moi aussi, être «Plus qu’hier, moins que demain». Mais je n’y consacrais pas toutes mes ressources. J’étais «busy» à construire des Maisons. De 2011 à 2017, il y a eu trois belles nouvelles Maisons. C’était ça le focus, la priorité où toutes les énergies étaient mises.
En 2018, Fred, mon jeune associé, a aussi décidé de s’y mettre à fond. On a eu le goût de nous amuser avec la fine ligne du dépassement de soi. Un objectif ambitieux pour nous deux. Lui, se qualifier pour Boston, donc se rapprocher le plus possible du 3:01:00 au marathon et moi de faire un sub 3:40, d’aller toucher au 3:39. Toute l’année nous avons travaillé fort et différemment. Avoir des équipes solides autour de nous dans les boutiques nous a permis de mettre plus d’énergie et de temps dans l’entraînement. C’était génial!
Arrive la fin octobre et nous voilà sur la ligne de départ du Marathon du P’Tit Train du Nord. Entourés de plein d’amis, l’énergie était palpable. C’était une matinée parfaite pour récolter les fruits du travail accompli, pour y aller à fond de train. Je veux enfin faire honneur à mon bracelet. Je l’ai sur moi. Il est un peu grand, mais ça devrait faire la job.
Dans les jours précédents l’événement, Fred et moi avons discuté en long et en large de stratégie de course. Vous ne savez pas mais y’a rien de plus achalant qu’un marathonien la semaine avant son marathon! Donc on a jasé de vitesse, d’allure, de secondes, de minutes, etc. Je lui dis que je veux casser le 3:40. Il me regarde et me dit «Boom»! Son «Boom» est joyeux, ludique. Style, go mademoiselle, GO! Là, je lui ai avoué un secret que je n’osais dire tout haut. Mais c’est sorti tout seul. J’ai dit; «et si j’essayais de courir ce marathon à 5:05 du km»? Voici ma réflexion que je lui dis: «La semaine dernière, j’ai fait Québec à 5:15 du km sans «taper» ( repos pré-marathon d’un peu plus d’une semaine). Québec est plus difficile que le P’Tit Train à cause des côtes et des virages. Donc reposée, j’enlève 5 sec/km et un autre 5 sec/km car il est plus facile. Il a vérifié sur le web ce que 5:05/km donnait comme temps et il m’a lancé un tonitruant «BOOM »!
J’ai adoré ça! BOOM! Je me le suis approprié ce mot. BOOM, mon nouvel ami a été avec moi sur le parcours du P’Tit Train du Nord pendant 42,2 km. Et ça a marché! 3:34:00. Un gros fun! Pendant la course, je repensais au «Boom» de Fred. Tout au long, je me disais «BOOM»! 42,2 km à avoir de la poussière d’étoiles autour de moi, la poussière de mes amies. J’ai terminé en 3:34:00. Je n’en reviens pas encore. J’ai travaillé fort tout au long du marathon mais surtout à la fin. Du 33e km à la fin j’ai tenu la vitesse. Pour moi, ça c’est nouveau, être capable de tenir tout au long. Puis j’avais plein d’amis là avec moi à la fin. On a tous fait un travail phénoménal! Une gang de champions!
Nous sommes si chanceux dans notre sport de pouvoir côtoyer régulièrement les coureuses et coureurs qui nous font rêver, qui nous inspirent. De pouvoir courir auprès d’eux. De pouvoir mettre dans notre besace leurs apprentissages et nous en nourrir. J’ai trouvé des femmes inspirantes à admirer. Ça m’a propulsé plus loin. C’est un grand privilège, vous ne trouvez pas?
Merci les filles! Il me reste beaucoup à apprendre, et c’est tant mieux. Apprendre c’est s’amuser, non? Je continue et je m’amuse. Je vous regarde encore avec admiration. J’admire votre persévérance, votre discipline, votre passion, votre confiance en vos capacités. Vous êtes des Iron Girl! Vous m’aidez à chaque journée de ma vie. D’autres femmes inspirantes vous ont rejoint dans mon panthéon. Y’a des gars qui collectionnent les cartes de hockey, moi je collectionne les «Inspirantes»!
Allez, je vous aime.
Crédit photo pour la photo de ciel rose: Johannes Plenio from Pexels