Lundi soir, pour la première fois après un marathon je voulais juste me cacher au chaud et ne rien faire. Habituellement pour que je me tienne à carreau, il faut me mettre des chaines, mais lundi soir, «nenon», je ne bouge pas d’un poil que j’ai dit à Lionel.

J’étais super contente par contre. Épuisée, pas réellement, mais frigorifiée jusqu’aux os et même plus loin. J’étais contente d’être au chaud tout simplement. Vous avez tous vu les images de Boston cette année. C’était incroyable. On ne pouvait pas être préparé à ça. Notre positivisme de coureur nous empêchait de mettre dans notre valise des vêtements réellement appropriés pour ce torrent de pluie, de froid et de vent qui allait nous tomber dessus. Nous avions tous le goût de partir avec une valise légère et le coeur léger aussi. Nous étions dans le déni total malgré les trois courriels d’avertissement que l’organisation du marathon nous avaient fait parvenir sur la catastrophe annoncée. Nous y allions gaiement! En fait de la même façon que les jeunes hommes vont à la guerre avec enthousiasme en se disant, « ce ne sera pas si pire que ça, je suis fort, je suis capable d’en prendre». Un genre de déni qui fait que, un coup dedans, bien tu t’organises et tu trouves la force. Je ne compare pas la guerre à ce que nous avons vécu hier, non pas du tout, mais je compare notre déni à ça oui! Je m’amuse à comparer notre besoin de romantisme où nous nous voyons surmonter les épreuves avec héroïsme et fierté.

De belles rencontres à l’Expo du marathon ! Guylaine Handfield et Alain Bordeleau étaient là pour partager la passion des coureurs du Québec !
Lionel m’a obligé à bien m’équiper pour l’attente de deux heures à la pluie et au froid. Une chance que je l’ai écouté !
Nous sommes en route vers l’autobus qui nous amènera au Village des Coureurs !

Devant nous, deux heures d’attente avant le départ. Nous étions tous parqués sous d’immenses chapiteaux dans le «Village des coureurs» entourés de bouette. Ça nous sautait aux yeux que nous allions tous en manger une tabarouette! Fallait quand même y aller et surtout, ne pas penser. On se dit toujours «Un km à la fois, juste un à la fois». Mais ça ne nous encourageait pas beaucoup. À regarder le ciel il n’y avait aucun espoir sur un possible rayon de soleil. Notre cause était perdue. Fallait faire face. 42,2 km de misère.

https://www.youtube.com/watch?v=GF6S07jEut8
Josée est avec ses amies dans la tente au Village des Coureurs du Marathon de Boston 2018 !
https://www.youtube.com/watch?v=-3xuZo-mquY
Marathon de Boston 2018, les amours qui attendent les coureurs. Le froid, le vent et la pluie n’ont jamais cessé tout au long de la course !
Spencer le le spectateur vedette du Marathon de Boston !
Des conditions terribles pour tout le monde, même pour le défenseur de son titre Geoffrey Kirui !
Il faut continuer coûte que coûte à travers les gouttes !
Desiree Linden la gagnante est la première américaine à gagner Boston depuis 1985 !

On a fait ça en grand. On a fait face. Je n’ai vu personne se plaindre. Lundi, j’ai trouvé mon énergie en regardant autour de moi. Visages déterminés où le doute ne pouvait faire son chemin. C’est ça que l’on construit dans ces moments-là. Une détermination comme un cadeau, comme un parasol. De celle qui nous protège dans la vie de tous les jours.

Cette force, cette capacité d’avancer, elle était palpable. Elle se faisait un chemin à travers les grosses gouttes grasses de pluie qui nous frappaient sans relâche dès les premiers moments de la course. Nous étions plus silencieux que d’habitude, quand même un peu écrasés par le ciel. Nous étions tous en discussion à l’intérieur de nous-même pour trouver les ressources tapies là au fond qui nous permettraient de faire de cette journée un succès.

Obligé de passer par là pour se rendre au départ ! J’étais la seule avec des bottes de caoutchouc et mes souliers dans un sac sec que j’étais pour enfiler à la dernière minute. 
Les amies dans la tente en attendant le départ. Nous tentons de rester au chaud en nous racontant des bobards pour oublier un peu ce qui nous attend ! 
De la neige au sol, sur les toits de maison, sur les voiture. Serions-nous en hiver par hasard ? Où est le soleil, où sont les bourgeons ?

Et puis j’ai vu le soleil. Oui, un soleil éclatant.

Finalement, il était partout à Boston ce soleil lundi matin. Il était là tout au long du parcours et surtout, surtout à la fin. Je vous explique.

Il fallait regarder plus loin que la pluie, au-delà des nuages, plus loin que le froid et que le vent. Il y avait ce soleil tellement radieux qu’il réchauffait le coeur. Il nous donnait de l’énergie, de celle qui nous fait avancer avec assurance. Les gens, les bénévoles, cette ville qui nous accueuillaient en héros, qui nous traitait comme des champions. Ces gens, ces sourires, c’était éblouissant. Il faut courir Boston un jour dans sa vie, non pas pour montrer à tout le monde que l’on est vite, que l’on est un champion, que l’on est un coureur accompli, mais pour voir, pour vivre ce soleil qui lundi dernier s’est fait un chemin jusqu’à nous.

Je revois les spectateurs joyeux et admiratifs tout au long du parcours. Je revois ce monsieur d’une soixantaine d’années qui, à chaque année est là sur le parcours, toujours au même endroit, à droite. Il est toujours déguisé en Père-Noël, il nous encourage avec son grand sourire plein de bonté. Il y était encore cette année. Là se tenant debout fièrement à la grosse pluie. Il était là pour nous. Quelle est son histoire à ce monsieur? J’aimerais bien savoir. Je l’avais vu lors de mes trois premiers Boston. Je ne croyais pas le voir cette année. Mais non, il y était. Il est probable qu’il ne s’est même pas posé la question s’il enfilait ou non son déguisement pour nous. Avec nous dans l’adversité, sa présence était encore plus forte, plus significative.

Il y a beaucoup de méchanceté dans ce monde. Il y a de l’égoïsme, de la vantardise, de la mesquinerie, du mépris. Je sais. On ne vit pas dans un film pour enfant. Mais ce week-end, ce que j’ai vécu, ça va me nourrir pour longtemps. Ça a effacé ces gens, ces gestes parfois si mesquins. À Boston dans cette grande ville américaine, nous avons tous été traités comme on traite les gens qui nous sont chers. Les spectateurs, les policiers, les bénévoles, les organisateurs, tous s’inquiétaient pour nous. Fallait les voir nous tendre l’eau, nous surveiller, voir si l’on allait bien, nous couvrir à la fin, nous remettre la médaille. Je n’oublierai jamais cette infinie gentillesse, cette tendresse dans les petits gestes, dans le regard tout au long du 42 km. Je veux dire, 42 km de petites attentions , de regards gentils, de générosité, ça requinque pas juste un peu!

Des spectateurs qui ne donnent pas leur place ! Wow ! C’était génial !
Spencer se prépare pour le Marathon de Boston 2018 ! Une épreuve pas piquée des vers pour ce magnifique chien !
À chaque année Spencer est sur le bord du parcours avec son maître Rich Powers  pour encourager les coureurs ! 

Puis nous sommes arrivés à la fin de ce long parcours. Après 42,2 km, nos amours, nos «supporters», nous attendaient. Ils étaient à la pluie, au froid et au vent. Ce vent se déchainait encore plus dans les rues du centre-ville comme s’il voulait chasser ce soleil, cette chaleur offerte par ceux qui nous attendaient. Ils étaient transis de froid nos amoureux, nos enfants, nos parents, nos amis debout dehors par ce temps de chien à patienter, à nous attendre. Ils étaient inquiets, ça se voyait.

Dès notre arrivée, dès la dernière foulée, nous étions assaillis de tremblements. Eux qui étaient là à nous attendre et qui voulaient prendre soin de nous, ils stressaient à mort pour nous retrouver et nous remettre les vêtements chauds et secs qu’ils avaient apportés avec eux.

Mon Lionel était là. Mouillé jusqu’aux os. Inquiet. Quand je l’ai vu j’ai su que tout allait bien aller.

Au 30e km puis à la fin ! Finalement j’avais gardé mon manteau imperméable tout au long de la course ! 
À l’arrivée ils nous donnaient un poncho d’aluminium ! Bien beau mais pas assez chaud ! 
Le dossard et la médaille ! Elle est bien belle je trouve !

Quand nous les coureurs, les combattants, avons vu notre amour, nos amours, nous avons tous su, que tout allait bien aller.

C’est ça qui nous a permis d’avancer. Cette chape de soleil qui a repoussé le froid, le vent et la pluie. Cette force, elle venait de là.

Quand on regarde un film de guerre, le jeune homme a toujours dans la poche secrète la photo de son amoureuse. Nous, les coureurs un peu fous, qui allons si loin, qui voulons nous dépasser, c’est l’amour de ceux autour de nous qui nous donne ce gaz, cette énergie sans fin. Nous prenons les compliments quand on nous les donne, mais au final, les héros, c’est ceux qui nous attendent, qui nous supportent, ceux qui nous aiment immensément et qui nous regardent avec les yeux plein de tendresse, même quand nous puons le tabarouette!

Maudit qu’on est chanceux !