Les chaînes.
Voilà quelques années j’ai entendu à Radio-Canada Première, un animateur dont j’ai oublié le nom qui disait ceci : «Ne m’enlevez pas ces chaînes, j’ai pris des années à les construire!». Cela provenait du texte d’une pièce de théâtre, dont d’ailleurs j’aimerais bien connaître le nom et l’auteur.
Cette phrase m’a marquée. Elle est restée en moi et a fait son chemin. Depuis j’ai conscience de cette réalité, que j’ai, moi aussi, construis mes chaînes.
Nous en avons tous des chaînes. Nous les avons bâties avec ferveur et application. Puis, nous nous y lovons avec tendresse. Ça s’appelle le confort, la sécurité. Et nous adorons ça.
Courir permet de «lousser» ces chaînes, qu’elles nous laissent respirer un peu pour que nous puissions explorer le monde nous permettant ainsi de nous sentir vivant, de continuer à apprendre et d’aller loin. Ça nous donne aussi la force de ne pas nous asseoir et de nous endormir dans notre propre pièce de théâtre. Il n’y a pas que la course qui permet cela, je le sais bien. Mais la course est un moyen sûr qui est juste l’autre côté de votre porte.
Ma grosse chaîne à moi c’est la peur de souffrir. J’ai développé, jeune, une grande intolérance. J’ai compris voilà bien longtemps, on ne m’y prendra plus. Je n’aurai plus mal.
Sauf que j’aime courir. J’adore courir et courir, parfois, fait mal. On peut faire ce que l’on veut de la course à pied. C’est un peu comme de la farine, on peut en faire un gâteau de mariage, une crêpe et même de la colle. Avouez que c’est pratique autant de polyvalence!
La course, on peut en faire une thérapie, un loisir, une façon de rencontrer des gens fantastiques, un plan de remise en forme, une façon de se redonner de la confiance, de devenir plus fort, etc. Tout ça. N’essayez pas avec le golf, la pétanque ou le wakeboard. Je veux dire, la course, ça mène à tout et surtout à soi. Le soi que nous perdons souvent de vue.
Et dans le soi, il y a des chaînes qui nous tiennent solidement.
Ces chaînes, elles n’attendent que ça se faire briser par notre volonté, par notre «guts».
J’ai couru le week-end dernier le Défi Bleu de Martinique. Le départ était à 22h samedi soir. Courir dans la nuit un 59 km de boue, de côtes complètement malades, de sentiers si glissant qu’il fallait s’accrocher aux cordages pour ne pas tous tomber les uns sur les autres, c’était épique.
Passer une nuit à faire ça.
Mais voilà, habituellement je dors la nuit. Je ne m’en vais pas caracoler avec des amis dans le milieu de la nature martiniquaise par la grande noirceur et pour toute la nuit!
J’avais la trouille depuis quelques jours, mais je ne le disais à personne. J’ai quand même ma réputation à garder vivante. Mais une crevaison, oublier mes runnings, une mini blessure, n’importe quoi qui aurait fait que samedi soir je me serais dirigée vers mon doux lit, aurait fait l’affaire voyez-vous. J’attendais d’être sauvée par le hasard. Vous connaissez le «shit happens», bien je l’attendais. Il n’est pas venu. Il ne m’a pas sauvé.
À 22h, juste avant le départ, j’avais la trouille.
J’avais peur des araignées qui selon Google volent dans ce coin-là. J’avais peur du tunnel où les chauves-souris sont là et tournoient autour de vous. J’avais peur des moustiques, des serpents venimeux, de la maladie leptospirose qui est dans les forêts ici. J’avais peur de me perdre, que ma frontale me lâche, que je ne sois plus capable de continuer par manque de sommeil, etc. J’étais bien occupée à avoir peur de tout ça! J’en avais de la misère à voir à quel point j’étais chanceuse d’être là avec mes amis, de vivre ce moment.
J’ai passé la nuit à courir. Mais surtout j’ai passé la nuit à ne pas avoir trop peur. Je me calmais tout au long des kilomètres, j’avançais tout doucement avec mes amies. Avancer c’est probablement ce qui aide le plus à détruire les peurs.
Puis, au matin après 10h51 de course, nous sommes arrivées, mes deux amies Karine et Diana, et moi, radieuses et en super forme.
Mes peurs, elles avaient sacré le camp. Avez-vous déjà vu quelqu’un rester quand vous ne vous occupez pas de lui? C’est pareil pour les peurs. Je les ai ignorées toute la nuit, trop occupée à regarder la voûte céleste, la lune qui avait une forme et la couleur d’un quartier d’orange, à écouter la forêt, à faire connaissance avec les autres coureurs que nous croisions, à respirer les odeurs nouvelles. Et, dans cette nuit, à m’apercevoir que je suis bien plus forte que je croyais. Que ce que je ne connais pas continue à me faire peur malgré ma grande confiance en moi.
C’est toujours pareil, la seule façon de voir notre force c’est de l’utiliser, c’est de la lancer vivement sur le mur et de la voir rebondir et nous amener loin avec elle.
Et au passage, mettre aux poubelles, les peurs petites et grandes.
Et là maintenant, je me tiens devant vous, et je suis prête à d’autres défis qui avant me faisaient peur.
Je suis gagnante, vous ne trouvez pas?
P.S.: Bravo à mes amies Karine et Diana qui sont des championnes! Nous avons fait un superbe travail ensemble!
Première journée de course pour adaptation à la chaleur. Ouf, mon look après seulement 4 km!
Deuxième sortie d’adaptation à la chaleur. C’est beau la Martinique!
On vient de ramasser nos dossards. Ça s’en vient!
On nous dit d’apporter obligatoirement une timbale. Heu, j’ai pas ça moi! On va en fabriquer une!
Le matin même, je défais le bloc d’alimentation..
..comment elle va tenir ma frontale sans son bloc d’alimentation?