Vous abandonnez? Non, j’arrête.
La dame au ravito du 22e kilomètre, n’est pas certaine de comprendre. Elle m’écoute lui dire que je veux arrêter et lui demander comment je peux faire pour rejoindre le camp de base de l’événement à 22 km d’ici. Elle me regarde, puis me dit «Vous voulez abandonner». Je réponds, «Je veux arrêter». Elle me regarde sans comprendre. Puis «Vous abandonnez?» qu’elle me dit de nouveau. Je réponds à nouveau «Je veux arrêter». Je sais ce qu’elle pense, je le vois dans ses yeux. Elle pense que j’ai l’air en pleine forme, que je vais certainement repartir dans deux minutes, que je ne fais que divaguer. Puis, elle me dit, incrédule «Vous êtes sûre, vous voulez abandonner?» Je la regarde et je réponds simplement «Oui».
Il y a des moments dans la vie ou s’obstiner ne sert à rien.
Puis, elle me dit «Voulez-vous vous asseoir?» Non, je vais bien, je suis ok mais je ne suis pas assez ok pour faire ce qui reste de cette course en toute sécurité. Il y a ça, mais il y a aussi autre chose, une autre raison.
Et voilà. C’était fini. Je ne terminerai pas le Skymarathon du Mont-Jacques-Cartier. Ce matin, c’était mon plan A. C’est terminé. J’ai trouvé un plan B qui me paraît plutôt alléchant en ce moment.
Maintenant, je dois me rendre à l’autobus qui me ramènera au camp de base de la course. Il y a 2,6 km de descente douce pour y arriver. Puis un bus scolaire me prendra et un bénévole (merci, Stéphane, pour le lift et la jasette) me ramènera à bon port. Je devrais être là dans une heure trente pour commencer mon plan B. Un plan sans souffrance qui me sied bien en ce moment de ma vie. Je n’y peux rien, je n’ai plus la force de continuer. C’est la deuxième raison pour laquelle j’arrête. Je n’ai plus la force de trouver ça amusant. Je veux de la légèreté, de la paresse, de la super grosse paresse, de petits défis tout doux qui m’amuseront, qui me feront sourire. Je ne m’en cache pas, je veux tout simplement de l’amusement. C’est ça en ce moment qui m’interpelle.
Le plan B: Miam miam: Aller voir mes amis arriver et recevoir leurs médailles. Féliciter ceux qui sont déjà arrivés. Puis, partager nos histoires, prendre une bière, et ce que je ne sais pas encore, déguster les bouchées de poisson fumé Atkins absolument délicieuses qui seront offertes gracieusement par les bénévoles.
J’ai hâte de voir mes amis. Juste ça. Simple comme ça. Voir leurs sourires de fierté. Écouter les histoires de course, les difficultés, les réussites, etc. Je veux dire, c’est toujours génial à écouter. Il va y avoir quelques jokes plates que je vais apprécier parce que c’est relax des jokes plates. Ça fait sourire. Je sais que mes amis auront zéro énergie dans leurs jambes, mais pour jaser, ça, ils n’ont pas de limite. Je vous jure! Un vrai fun ce sera!
Voilà. Comment dire? Comment expliquer sans abuser de mots? Mmmmm, je vais essayer.
Donc ce matin, à 9h, départ pour courir un marathon en sentier de 44 km avec beaucoup de dénivelé. Pas de trouble, les marathons ça me connait. Le dénivelé, ça s’en vient aussi! Le menu est limpide: un 44 km dans le parc National de la Gaspésie. Au 22e km on change de bord et on revient à la maison. Yes! A «walk in a park», comme ils disent!
Mais dès le début, avant même la fin du deuxième kilomètre, ça n’allait pas super fort. Comme si je n’avais pas de réserve d’énergie, pas de rebond. J’ai dit à Maude, ma chum avec qui je pensais faire la course, «Maude, je n’ai pas de spring. Je ne comprends pas ce qui se passe, mais je n’ai pas d’énergie. Va en avant et amuse-toi.» C’était visible, elle s’amusait. Aujourd’hui elle dansait et moi je peinais. Ce n’est pas pareil, voyez-vous. C’est une différence énorme. Elle gambadait la demoiselle. C’était beau à voir. Elle est disparue tout doucement autour du 5e ou 6e km.
D’habitude, je gambade moi aussi. Mais pas ce matin, je ne faisais qu’avancer, mettre un pied devant l’autre. Aujourd’hui, la magie n’opérait pas, c’était différent. Mais bon, je m’accrochais à ce qui me plaisait de l’aventure, c’était beau, la nature était en pleine explosion, ça sentait bon tout autour de moi. La nature gaspésienne rayonnait. Je me disais, ça va prendre huit heures. Huit heures dans cette beauté, OK, je peux faire ça.
Puis sont arrivées les roches, les «mautadines» roches. Des roches en forme d’énormes couteaux suisses déployées partout, tout autour de moi. Il y avait eu les racines au début, des racines traitresses et puis là c’était les grosses roches. Au moindre faux pas, je me cassais la marboulette, c’est sûr! Une mer de roche à perte de vue. Les yeux rivés au sol, je ne pouvais prendre aucune milliseconde pour apprécier le paysage. Je regardais où je mettais les pieds, tellement que je ne regardais plus où j’allais. Je déviais ainsi constamment de mon chemin. C’était totalement décourageant. J’étais déboussolée, j’avais l’impression de reculer à chaque pas.
Et là, ma nature est apparue comme une révélation. La première vérité de la matinée. Oui, je suis une petite chèvre, mais une race un peu spéciale, une chèvre d’Asphalte. Vous connaissez? C’est une chèvre qui sur le bitume, monte très bien avec force et constance, mais dans les roches ou les racines elle se transforme en escargot. Un escargot qui chigne à part de ça! Ce n’est pas ragoûtant dans un sentier, je vous jure, un escargot qui chigne!
Donc, moi chèvre d’Asphalte, ai décidé, après avoir pris 55 minutes pour faire 4 kilomètres et perdu l’équilibre à plusieurs reprises, de tout arrêter ça. À un moment où je m’étais arrêtée pour voir où j’étais rendue, en arrêt complet donc, je suis partie sur le côté. Étrangement, mes sens n’avaient plus de repères, je perdais pied sans être en mouvement. C’était un peu inquiétant.
Deuxième vérité de la matinée: Je vais arrêter tout ça dès que je peux. Au prochain ravito, ce sera terminé pour aujourd’hui. La décision était prise. Elle n’avait pas été difficile à prendre. J’avais 14 km de fait, je n’avais pas la force de tout faire. À partir de ce moment, du 14e au 22e, j’ai pris ça cool. J’ai admiré le paysage, pris des photos, des vidéos des amis que je rencontrais, etc. Et j’ai souri. Je savais que le party serait après. Je voulais réellement en profiter. J’avais beaucoup à fêter. Mon plan A était de faire ce marathon en m’amusant comme d’habitude. Travailler fort évidemment, mais m’amuser tout à la fois. Je n’avais pas prévu de plan B. Il m’est apparu tout doucement et dès lors, j’ai eu le coeur léger.
Et mon plan B, j’y pensais un petit peu, pourrait être de faire le 22 km demain avec mes amis. Ils sont une douzaine à le faire. Il me semble que ce serait le fun. Miam. Je pourrais me reposer ce soir, prendre un bon souper et bien dormir. Puis, demain, m’élancer dans les sentiers vers le Mont-Albert avec mes amis.
Demain, j’aurai la force pour ce défi. La force qui me quitte parfois, qui me fait faux-bond. Je suis toujours éberluée quand elle n’est pas là avec moi. Quand tout à coup, pour réussir ce que j’ai mis à mon agenda, elle n’est pas disponible. Ça m’arrive et je déteste ça. Mais bon, c’est la réalité. Je l’accepte et tente de trouver des solutions pour qu’elle retrouve sa place dans ma besace. Je sais que j’exagère avec elle, que je la pousse dans ses derniers retranchements. Elle me le fait payer parfois en s’en allant tout doucement sans avertir. Certains matins, je la cherche partout dans la maison. Je demande à Lionel: «Hé, Lionel, t’aurais vu où est passée ma force? Me semble que je l’avais mise sur le petit meuble en rentrant de la job hier soir». Elle et moi sommes des complices. J’accepte ses petites défaillances et elle accepte mes grands abus. On se complète, voyez-vous! Mais ce matin, elle m’a laissé aller sur le sommet du Mont-Jacques-Cartier toute seule. Quand je suis venue pour la prendre avec moi pour continuer, elle n’y était pas. Ma besace était vide. Disparue la force, envolée. Et voilà, je ne pouvais plus avancer. Si ma vie avait été en jeu, j’aurais pu continuer. Mais ici, il n’y avait rien en jeu. Il y avait que ce n’était justement plus un jeu. C’était une obligation et ça vous savez, je n’en manque pas en ce moment. Du jeu par contre, je peux en prendre.
Tantôt et demain, ce sera du jeu. Je suis prête.
Finalement, j’adore les plans B
Quand la dame m’a demandé, «Vous abandonnez?» J’aurais pu répondre «Non, j’ai un plan B.»
🙂
P.S.: (Un gros P.S.) Félicitations à tous! Ceux qui ont terminé et ceux qui n’ont pas terminé. C’était ardu comme je n’ai jamais vu. Je vous admire tous! Vous êtes incroyables.